En ce printemps qui commence, je voudrais parler de l’importance de la rotation des cultures en maraîchage.

Le premier objectif de la rotation des cultures est sanitaire pour éviter que certaines maladies reviennent. En effet, certains légumes peuvent avoir des maladies qui, comme nous faisons du maraîchage bio et que nous ne faisons pas de désinfection du sol, restent dans le sol. En changeant les légumes de place, on limite donc la possibilité que la maladie infecte à nouveau les mêmes légumes. Cela concerne par exemple la pourriture sur les pommes de terre. Autre exemple, que justement nous ne vivons pas aux Jardins car nous faisons la rotation, c’est une maladie qui se produit sur les oignons où l’on observe que la première pelure devient noire et un peu grasse. Si on plante les oignons toujours au même endroit, on est certain qu’elle va se produire. Et pour l’oignon, on dit qu’il faut 7 ans avant de le replanter au même endroit. C’est, je crois, le cycle de rotation le plus long. 

Nous faisons chaque année des tableaux de rotation des cultures pour conserver la mémoire de quels légumes avaient été plantés où et veiller à ne pas les remettre aux mêmes endroits trop rapidement. Plus le terrain est grand, plus c’est facile. Plus le terrain est réduit, comme dans les serres, plus c’est délicat, un vrai casse-tête.

C’est un travail que nous faisons ensemble avec Marine et Stéphane, les maraîchers-encadrants. Cela permet d’échanger, de se remettre en question, d’essayer des nouvelles façons de faire les choses. A ce propos, il ne faut pas confondre le plan de rotation des cultures avec le plan de cultures. Le plan de cultures définit ce qu’on plante, les quantités ainsi que les semaines de plantation. Il est maintenant assez stable et change assez peu. Alors que le plan de rotation définit où seront les légumes dans nos différentes parcelles, années après années. Il est construit progressivement au fil de l’année et de nos disponibilités. Pour les serres, on doit le faire d’avance du fait de la complexité de l’exercice.

La maladie n’est pas le seul critère de rotation. On aime bien aussi alterner des légumes racines avec des légumes feuilles. C’est lié aux besoins en nutriments de la plante : certaines ont besoin de plus d’azote ou de plus de potasse.

Autre critère de rotation : la fumure (fumier de cheval, engrais, …). Elle se fait sur 3 ans. La première année, on met du fumier et des légumes qui sont très gourmands en fumier : pommes de terre, choux, … En deuxième année, sur cette même parcelle, on met des légumes moins gourmands comme les carottes, salades, … qui peuvent profiter des restes de la fumure de l’année précédente. En troisième année, on met ce qui n’a besoin de rien, comme les légumineuses, petits pois, fèves. Aux Jardins, on met donc très peu d’engrais, simplement pour entretenir le sol.

La rotation des cultures est donc un processus complexe : on tient compte de la famille du légume et des maladies. On ajoute la question de la fumure pour pousser les choses au maximum.

Les serres illustrent la complexité de cette opération de rotation sur la famille des légumes : les tomates, aubergines, poivrons ne doivent pas revenir dans la même serre chaque année. Dans le champ, les pommes de terre doivent aussi changer de place chaque année.

Les insectes entrent aussi en ligne de compte mais finalement très peu car l’insecte trouvera toujours le chemin du légume, même si on le change de place. La rotation retardera un peu l’arrivée du doryphore ou du puceron, mais ne l’empêchera pas.

Il y a aussi des effets positifs de la rotation sur les légumes eux-mêmes. Par exemple, lorsqu’on déterre la pomme de terre, l’année d’après il y aura moins d’herbes ce qui sera favorable à la culture. Un autre exemple, avec les légumineuses qui sont des plantes qui fixent l’azote : après la récolte, on laisse sur place la plante qu’on a broyée, elle est décomposée par les micro-organismes ce qui redonne à la terre l’azote qui avait été fixé. On fait cela, par exemple, avec des petits pois ou des haricots, et quand on les a fait suivre par des échalotes, elles n’ont jamais été aussi grosses et belles. 

Dans ce cas, les cycles sont plus courts que l’année entière. On raisonne avec 3 périodes de cultures : la culture de printemps, d’été et d’automne. Les cultures de printemps sont courtes, elles sont récoltées au mois de juin. C’est par exemple le cas des petits pois, fèves, quelques salades, les fenouils. Après récolte, on broie, on retravaille le sol et on met les cultures d’automne : salades, chicorés, frisées, scaroles, pains de sucre, navets. Donc, dans ce cas, les parcelles servent deux fois par an. Pour les cultures d’été : poireaux, choux, céleris, …, ce sont des cultures longues qui sont plantées en juin/juillet, la parcelle n’est alors plantée qu’une seule fois puisque certains légumes seront récoltés jusqu’au mois de mars suivant. C’est sur ces parcelle, entre deux cultures, que l’on met des engrais verts.

Vesce

Fleur de vesce

Pour les serres, l’approche est différente parce que c’est une culture intensive même si elle est bio. Nous pouvons avoir jusqu’à trois cultures différentes voire quatre, qui s’enchainent sous les serres. Dans ce cas, on va fournir plus de nourriture à la terre avec du fumier, des engrais verts, …, on va optimiser parce qu’on demande plus au sol. Souvent dans les serres, on met des engrais verts qui apporte peu de matière sèche comme le trèfle. Cette année, parce qu’il nous en restait du champ, on a mis dans les serres des engrais verts qui apportent plus de matières végétales, un mélange de seigle, de féverole et de vesce, et cela a très bien fonctionné.

Nous avons 18 serres, cela peut paraître beaucoup, mais si on tient compte que nous cultivons 6 serres en tomates au printemps, et 2 serres qui se « reposent », on mesure combien la problématique de la rotation est complexe avec les serres. On dit qu’il faudrait trois ans entre chaque cycle de rotation, mais sous serre, on est plus proche de 2 ans que de 3, si on ne veut pas réduire le nombre de serres avec des tomates.

Sous serres, on a beaucoup de problématiques d’acariens, comme les araignées rouges ou le puceron rouge pour les tomates ; Ce sont des insectes qui se nourrissent de la sève de la plante. En agriculture conventionnelle, les serres sont entièrement désinfectées, le sol comme les bâches, ce que nous ne faisons pas en agriculture biologique. Dans notre cas, la rotation améliore les choses car une partie des acariens meurent de faim. Nous complétons avec de la lutte dite « intégrée » où on amène dans la serre des prédateurs des acariens que l’on veut éliminer. C’est une démarche que nous avons initiée il y a un an en préventif, mais qu’on peut aussi compléter en curatif, si besoin. Nous faisons cela toutes les semaines, pendant 2 ou 3 mois.

Il peut arriver qu’on mette des produits autorisés comme le cuivre. Certains maraîchers mettent du souffre au pied des courgettes, mais nous ne le faisons pas aux Jardins car en cas de fortes chaleurs, le souffre s’évapore et se diffuse dans l’air qui devient irrespirable à l’intérieur de la serre. Le souffre joue un rôle contre l’oïdium, un champignon qui se développe sur les feuilles. Contrairement à l’intuition, il a tendance à survenir si on n’arrose pas suffisamment. Donc, si on arrose plus, on peut éviter les traitements. Il faut aussi enlèver les feuilles et bien nettoyer la serre.

Nous mettons un peu de bouillie bordelaise (cuivre) en préventif en début de saison. Mais grâce à nos serres qui ont une ouverture latérale, ce qui permet de bien aérer et d’éviter l’humidité et la chaleur qui s’installe dans la serre et donne, par exemple, le mildiou à la tomate.

Contre certains insectes, il existe un traitement, autorisé en agriculture biologique, mais qui est extrêmement toxique pour les organismes, qui s’appelle Success 4. Il est très efficace mais il n’est pas sélectif. Il ne va donc pas seulement tuer la mouche mineuse du poireau (Phytomyza gymnostoma ou Napomyza gymnostoma), mais aussi les autres insectes comme la coccinelle. Nous l’utilisons donc à très petites doses, contre la mouche du poireau, ou si nous avons une pression trop forte de doryphores. Nous ne l’envisageons qu’après être passé tous les jours dans les cultures et avoir enlevé les insectes à la main. C’est un gros travail pour nos salariés en insertion, mais c’est de loin préférable.

 

Pour conclure, un mot sur l’origine de toutes ce savoir que nous accumulons en tant que maraîchers. Faire un potager et faire du maraîchage sont deux choses différentes. Le changement d’échelle fait que le savoir de nos grands-parents quand ils faisaient leur potager n’est pas transposable au maraîchage qui doit être plus productif. Heureusement, il y a beaucoup d’évolutions récentes que partagent les maraîchers entre eux. Un exemple, ce sont les outils de maraîchage en auto-construction que propose la coopérative L’Atelier Paysan et que nous avons mis en place aux Jardins. Il y a aussi les formations, les rencontres et les échanges qu’il peut y avoir entre maraîchers, mais, surtout, avec la passion qui nous anime, on trouve les informations qui nous enrichissent, sans toujours savoir d’où elles viennent. Et surtout, il y a l’observation. On essaye des choses, on regarde ce qu’il se passe, ce que cela donne. On cherche comment simplifier, limiter les efforts en recherchant le meilleur, pour nos légumes comme pour nous et nos salariés en insertion.

 

C’est grâce à tout cela que vous trouvez, chaque semaine, des légumes dans vos paniers et sur les marchés pour, je l’espère, le plaisir des près de 500 adhérents des Jardins de Cocagne de Mâcon.

 

Jean-François
Chef de Cultures