Ma motivation à postuler au poste de directrice des Jardins de Cocagne de Mâcon
Je suis arrivée en poste en février 2014 portée par une forte motivation à poursuivre ma carrière en cohérence avec mes valeurs et mon goût pour la relation humaine, la relation d’aide et l’écologie.
Les Jardins de Cocagne y répondaient car ils allient plusieurs dimensions, l’écologie, l’insertion sociale et professionnelle et, ce qui était nouveau pour moi et très important à mes yeux, l’Insertion par l’Activité Economique, qui plus est par le maraichage biologique. Tous les critères étaient donc réunis.
J’ai toujours pensé, grâce à mon expérience au travers des activités sociales et médicosociales que j’ai pu exercer aussi bien dans le champ de la prévention que de l’insertion, que le retour à la terre était vraiment très important et très structurant pour les gens. En effet, pour des personnes qui ont pu perdre le goût voir le sens de leur vie suite à des échecs et à des difficultés dans leur parcours tant personnel que professionnel, cela peut avoir beaucoup de sens et de vertus que de travailler la terre.
Une activité structurante et qui a du sens pour nos salariés en contrats aidés.
Notre activité de maraîchage bio est, en tant que telle, structurante comme l’est aussi conjointement l’accompagnement que nous apportons aux salariés en insertion. Sans le cadre que nous apportons, sans l’accompagnement que nous mettons en place concernant leur projet personnel et professionnel, nous n’aurions pas les mêmes résultats. L’activité économique proposée chez nous aux jardiniers est également concrète, visible et saine. Les salariés peuvent constater le résultat de leur travail. Ce n’est pas le cas dans toutes les entreprises et dans toutes les activités. Ici, ils travaillent la terre, préparent les sols, plantent les graines, les arrosent, les voient pousser, en prennent soin. Puis ils récoltent les légumes arrivés à maturité, les nettoient, les mettent dans les paniers, font les livraisons, vendent sur les marchés et ont le contact direct avec les clients. Ils vont ainsi jusqu’au bout de la chaine. En plus, ce que nous produisons est naturel. C’est bio et c’est bon pour l’homme et l’environnement.
Tout le monde a besoin de se nourrir correctement, c’est essentiel. Pourtant nos vies sont de moins en moins connectées à la nature, à la terre… C’est pour cela que je parle d’ancrage ! La terre est vraiment quelque chose qui nous ancre tous. Le fait qu’en plus nous soyons en bio apporte encore plus de valeur. Les salariés en insertion savent que les légumes sont bons, qu’on n’a pas besoin de les éplucher, de les nettoyer plus d’une fois avant de les consommer, et qu’on n’empoisonne pas les gens ni la nature avec ceux-ci. Nous sommes dans un cercle vertueux. Si nous leur expliquons bien et qu’ils le perçoivent, ils comprennent le sens que cela a pour eux même et pour les autres et cela confère encore plus d’importance et de valeur à ce qu’ils font.
Les critères pour entrer comme salarié en contrat aidé aux jardins
Pour réussir son parcours au Jardins de Cocagne, il faut de la motivation. Nous leur demandons au moment du recrutement quelle est leur motivation à y entrer. Nous leur précisons bien que nous n’attendons pas nécessairement qu’ils nous disent « je veux devenir maraicher ». L’essentiel, c’est la motivation qu’ils ont à travailler sur leur projet professionnel et personnel et à vouloir s’en sortir. Cela veut donc dire qu’ils doivent être prêts à opérer des changements chez eux, à entendre le travail qu’il va falloir faire sur les freins à l’emploi qui peuvent être de plusieurs ordres : santé, mobilité, l’absence de qualification, manque d’expériences, de compétences, manques dans les savoirs de base (lire, écrire, compter), etc … Cela peut être également relever de freins psychologiques comme « j’ai peur de conduire », « je ne me sens pas capable »…L’ensemble de ces freins, il va falloir petit à petit les lever.
Le recrutement
L’information collective que nous faisons au départ est là pour leur donner toutes les informations et répondre à leurs questions. Ensuite arrive l’entretien individuel. C’est là que nous évaluons le degré de motivation de la personne. Nous essayons de poser un premier diagnostic avec elle. Puis, les maraichers, l’accompagnatrice socioprofessionnelle et la directrice se concertent sur les candidatures et retiennent celles qui leur semblent les plus adaptées. La personne est ensuite recrutée et prend le statut de salarié en contrat CDDI (Contrat à durée déterminée d’Insertion).En même temps que la signature du contrat de travail, le salarié signe également un contrat d’engagement réciproque. Il s’engage ainsi à accepter l’accompagnement que nous allons lui proposer et, de notre côté, nous nous engageons à l’accompagner pour lui permettre de réussir son projet professionnel et personnel.
Les premières étapes du parcours d’accompagnement vers l’emploi
Au début, l’accompagnatrice socio professionnelle va leur faire réaliser un bilan de compétences qu’elle adapte en fonction du profil des personnes et de leur capacité à lire, à écrire et à restituer leur parcours. Chaque projet est harmonisé à chaque personne et nous travaillons sur les freins qui sont spécifiques à chacun(e). Les jardins de Cocagne ont choisi de proposer 7 mois de durée pour le 1 er contrat, parce que cela nous permet d’avoir un mois de période d’essai. Si cela ne va pas pendant la période d’essai, nous préférons arrêter là le contrat. En effet, si en un mois les gens ne sont pas capables de tenir une motivation, ils ne la tiendront pas sur 7 mois ni sur un an. C’est que ce n’est pas encore le bon moment pour eux. C’est important pour nous d’être très clairs au départ, d’être très transparents, d’être très fermes aussi et de démarrer l’accompagnement et les démarches d’insertion dès le 1er mois. Nous sommes parvenus avec l’équipe d’encadrement et d’accompagnement à mettre vraiment cela en place aux Jardins.
Nous sentons très vite si la motivation est là ou pas. Nous acceptons les difficultés des gens, nous les écoutons, nous les entendons. Ils nous apportent leurs arguments, nous leur apportons les nôtres et nous les renvoyons aussi sans cesse à la réalité de ce que les employeurs vont attendre d’eux à l’extérieur. Nous les stimulons aussi beaucoup. Mais, si nous nous apercevons au terme des 7 mois qu’il n’y a aucun effort fait par le salarié sur le plan du projet professionnel et personnel et sur son implication à lever ses freins à l’emploi, même si celui-ci fait son travail sur le versant de l’activité de production, nous préférons ne pas renouveler. Le contrat aux jardins est en effet un contrat spécifique. Ce n’est pas un simple CDD. Il y a le « I » de l’Insertion qui doit vivre et se mettre en place avec le salarié afin qu’entre l’avant et l’après jardins, il se soit passé quelque chose de positif pour lui et qu’il aille vers une sortie dite « positive (emploi d’au moins 6 mois, CDI ou formation qualifiante reconnue par les entreprises).
On parle souvent dans nos métiers d’empathie. L’empathie c’est être à l’écoute de l’autre mais cela ne veut pas dire être forcément d’accord avec tout et dire oui à tout. Aux jardins nous pratiquons l’écoute empathique mais structurante, toujours structurante.
Le parcours en CDDI peut durer au maximum 2 ans (durée de l’agrément donné par Pôle Emploi). Aux jardins, nous préférons annoncer d’emblée que nous ne renouvèlerons pas le contrat au terme d’un an de présence. La raison essentielle est que nous souhaitons qu’ils maintiennent une véritable dynamique de recherche d’emploi et qu’ils ne « s’endorment pas sur leur contrat aux jardins ». L’objectif est en effet qu’ils trouvent autre chose à la sortie qui soit plus pérenne pour eux.
Le réseau des jardins : Le partenariat et les bénévoles.
Même si cela n’est pas toujours facile dans le contexte actuel, nous devons concevoir notre rôle en cohérence et en continuité avec les autres intervenants. En effet, il arrive souvent que nous passions le relais à d’autres structures afin de mettre en place des actions spécifiques qui vont permettre d’aider nos salariés. Je pense notamment aux personnes qui ne maitrisent pas le français du tout et qui n’ont pas été scolarisées dans leur pays. Pour ces personnes parfois illettrées ou analphabètes, cela est très compliqué de pouvoir avoir une sortie positive en 2 ans vers une formation qualifiante ou un emploi.. Nous travaillons beaucoup avec LUTILEA, un organisme extérieur qui forme des bénévoles qui vont ensuite accompagner les personnes qui ont des problèmes d’illettrismes et d’analphabétisme.
LUTILEA a formé récemment des adhérents des jardins qui s’étaient proposés afin d’être bénévoles pour accompagner nos salariés. Nous avons maintenant beaucoup de nouveaux bénévoles, dont c’est la 1ère expérience. Ils ont été formés par LUTILEA afin de leur donner les compétences nécessaires et ils viennent de commencer des accompagnements individuels chez nous. Nous allons voir au fur et à mesure comment cela se passe mais j’entends les salariés dire qu’ils sont contents et pour moi c’est beaucoup.
Nous savons qu’il faut du temps, et du temps, chez nous, il n’y en a souvent pas suffisamment. Ce n’est pas en 1 an ou 2 ans, avec un public illettré ou analphabète que nous allons faire des miracles, mais on peut avancer. On peut donner cette envie d’avancer aux gens pour continuer après, parce que LUTILEA peut continuer après nous avec eux.
Nous essayons de toute façon pour tous qu’il y ait un relais qui soit pris à l’extérieur après le passage aux Jardins de Cocagne
Comment je vois l’avenir des jardins ?
Nous sommes arrivés, non sans mal, à asseoir une structure qui a les bonnes bases pour continuer à se développer. Tout n’est pas gagné mais il y a un bel équipement, une bonne équipe, un bon conseil d’administration qui œuvrent main dans la main et vont de l’avant. Cependant tout est fragile. Nous avons toujours des inquiétudes concernant les financements. Nous avons cependant encore une marge de progrès réalisable concernant la commercialisation. C’est pourquoi nous cherchons à développer nos ventes paniers. La production bio en France répond aux attentes qu’exprime la population de mieux se nourrir. Elle est d’ailleurs encore très insuffisante par rapport à ce que pourrait être la demande des consommateurs. Plus ça va aller et plus les consommateurs vont être exigeants au sujet de ce qu’ils mangent. Aussi, Je n’ai aucuns doutes sur l’avenir des Jardins de Cocagne. En effet, nous répondons à tous les critères. Nous faisons du bio, du local, et du solidaire. C’est dans le sens de l’avenir.
A la question quel est pour moi le lieu, le moment ou les éléments emblématiques des jardins ? Je répondrai spontanément : le forage et les hommes et les femmes qui œuvrent aux jardins.
Pourquoi le forage ? Parce que cela a été un dossier et un projet difficile, qu’il a fallu monter, tenir, argumenter, défendre auprès des différents financeurs. Le point de forage, c’est le symbole de la vie pour les Jardins. Pourtant, il y a eu un moment où nous avons perdu tout espoir de trouver l’eau car il ne restait que 2 tubes de 3m au foreur avant d’atteindre la limite de la profondeur qu’il pouvait forer. Nous avions déjà atteint le niveau impressionnant de 160m et l’eau n’était pas là ! Nous n’avions aucun plan de secours satisfaisant. Nous étions très inquiets pour les cultures à venir et nous savions que nous devrions faire face à des répétitions de canicules liées au réchauffement climatique qui risquaient de nous impacter très fortement. Les 2 tubes restants ont permis d’atteindre le niveau de la rivière souterraine à 166 m !!!
Cela a été un tellement bel aboutissement quand l’eau a jailli le vendredi 13 novembre 2015 vers 12h00 !!! Le V de la Victoire, c’est le geste que j’ai fait sur la photo prise à cet instant devant le forage. C’est vous dire ma joie partagée bien sûr par tous !
Oui, le point de forage et l’eau qui jaillit, c’est ce qui sauve une culture. On ne peut pas faire de maraichage sans eau. Et c’est pareil pour les personnes que nous accompagnons, nous cherchons à faire jaillir la source qui est en eux.
Les hommes et les femmes qui œuvrent aux jardins. En effet, on ne fait rien sans les êtres humains. Il y a l’équipe des permanents, les administrateurs, les bénévoles, les salariés en insertion. Sans cette implication, cette convergence de vue et l’activité de ces personnes il ne se passerait pas grand-chose. On aurait un forage, oui bien sûr, c’est essentiel pour la culture. Cependant il faut des hommes et des femmes pour travailler et rendre tout cela fructueux. Il faut toute la mécanique humaine pour donner corps et sens à ce que l’on fait.