Mon rôle de bénévole aux Jardins de Cocagne est d’apporter un complément, parfois même plus qu’un complément, de formation aux Jardiniers. Je donne des cours de français ou de mathématiques, mais cela va bien au-delà de cela. Les Jardiniers sont des gens qui sont sous contrat aux Jardins de Cocagne, ils sont employés et rémunérés par les Jardins de Cocagne, mais ils sont dans le cadre d’un contrat aidé, c’est à dire qu’ils fournissent un travail qui leur est rémunéré mais aussi ils ont l’obligation de suivre une formation, parce que les Jardins de Cocagne n’est pas seulement un producteur comme les autres, c’est aussi un moyen d’insertion ou de réinsertion et ça s’est important car cela figure véritablement dans leur contrat. Les gens que je prends, on s’est choisi mutuellement, même si ils sont obligés de venir travailler avec moi ou avec n’importe lequel des autres bénévoles puisque maintenant on est une équipe assez nombreuse.
Je suis venu aux Jardins en tant que client. On est venu avec ma femme une fois et on a dit qu’on voulait prendre des paniers et en discutant avec la directrice, on a eu l’occasion de lui dire que cela faisait des années qu’on faisait de l’enseignement et que si elle avait besoin ou les Jardins avait besoin de nos services, on était disponible. Ça s’est fait presque tout de suite.
La plupart du temps, les Jardiniers que l’on forme sont d’origine étrangère, même si il y aussi des français. Ce sont des gens qui ont des difficultés avec la langue. Faut vous dire que aussi dans leur cursus aux Jardins de Cocagne, ils vont avoir des tests à passer et des tests d’embauche et leur premier écueil, c’est de pouvoir réussir ces tests, et c’est à quoi je m’attache. La 2ème spécificité c’est qu’on a un temps très limité puisqu’ils ont un contrat renouvelable 2 fois. Donc il y a un peu une course contre la montre. Il faut s’adapter à chaque personne, à chaque besoin.
Ils parlent parfois des langues totalement différentes de la structure de nos langues, et derrière, il y a l’impossibilité pas lire les plaques, le nom des rues, ne pas bien connaître notre monnaie quand ils vont au marché. Ils sont toujours sur le fil du rasoir, et ça c’est des demandes, c’est un sentiment d’insécurité et parfois, beaucoup plus, un sentiment violent d’être mis au rebut parce que je ne connais pas la langue, et ça on le sent. Mais on ne peut pas intervenir directement, en disant tu as besoin de ceci, tu as besoin de cela, mais il faut qu’on essaye d’adapter notre enseignement, notre façon d’être avec eux de façon à essayer de leur apporter une réponse aux questions angoissantes qu’ils se posent.
Et ça c’est extrêmement important. Ici ils sont dans un milieu relativement sécurisé et sécurisant. C’est aussi une des spécificités des Jardins de Cocagne.
J’ai travaillé tout l’été, notamment avec un jeune avec qi j’ai commencé le 27 juillet pour la 1ère fois. Il y en a un autre que je n’ai pas vu depuis largement plus d’un mois, parce qu’il était en congés et maintenant il est en congé de maladie, et honnêtement, ça me manque. C’est un gars qui a de réelles possibilités et des connaissances, mais qui ne sait pas les exploiter, qui ne sait pas les exprimer. J’ai un autre jeune, actuellement, qui n’a jamais été à l’école, il a 24 ans, il est tout fou, il est passé par la rue, ben, ça aussi c’est important. Ici, il est véritablement, en ré-insertion, c’est à dire, qu’il réapprend à dormir dans un lit, à ne plus être dans la rue, à ne plus subir la violence de la rue parce que c’est un milieu extrêmement violent, il a à réapprendre les horaires parce qu’ici, en été, ils commencent à 7h00 et ils finissent à 13h00. Et moi, je l’ai connu au début où ça lui demandait un tel effort que je n’arrivais pas à travailler une heure avec lui, il s’endormait littéralement, donc voyez, c’est véritablement des situations tout à fait différentes, d’un individu à l’autre.
Il faut dire que le bénévolat, c’est du bonheur. Ah oui. Ils (les Jardiniers) nous donnent aussi beaucoup, ils nous donnent envie de continuer, l’envie de se battre, parce que c’est un véritable combat qu’on mène, contre l’insécurité, contre le racisme, parce que ça joue aussi énormément. Je sais que je ne dis pas à tout va que je suis bénévole mais quand je le dis, parfois, on me dit « tu as bientôt 80 berges, tu ne peux pas t’occuper de toi au lieu de t’embêter à venir travailler pour les autres ». Moi, ça ne me pose aucun problème, au contraire. Ce n’est pas du sacerdoce, il ne faut pas voir cela sur un plan misérabiliste. On est là parce qu’on a besoin de nous. Et je crois que quand on regarde une petite équipe comme celle d’ici, il y a une solidarité entre nous, on a les mêmes objectifs, on cherche la même chose.
Humanité, c’est certainement un des mots clés de notre action. Quand on voit les injustices qu’il y a tout autour de nous, on n’a pas envie de s’arrêter.
Il y a une remarque que je peux faire, c’est l’absence hurlante des hommes. Il n’y a que des femmes, je crois qu’ici on est peut-être 2, j’en suis pas même pas sûr, je suis peut-être le seul. Je ne sais pas, ils font de la pétanque, ils font de la course à pied, je ne sais pas ce qu’ils font, mais dans toutes ces associations à caractère social, il n’y a pas d’hommes. Dans toutes les associations, ce sont des associations que les femmes font marcher, elles le font aussi bien que nous, les hommes
Je pense qu’il y a d’autres associations qui soutiennent des clubs sportifs de trucs comme cela, il y a certainement d’avantage d’hommes, mais là, ça n’intéresse pas beaucoup les hommes. Pourquoi, je ne peux pas vous dire, je le constate.
Cela fait un peu plus de 10 ans que je fais ce travail, et le manque d’hommes est hurlant.
Moi, je me suis rendu compte un jour que je n’allais jamais vers les autres. Dans une formation que j’ai suivie en tant que bénévole, je l’ai compris. J’ai vu que d’autres avaient une facilité à aller vers les autres que je n’avais pas. J’ai appris à le faire et que je m’y trouve très bien. Je ne donnerai plus ma place.